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Une française au pays des sables
Une française au pays des sables
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12 septembre 2005

Les boris

Côté boulot, c’était toujours le calme plat. Mon maître stage, pour m’occuper en attendant de trouver un interprète, me donnait à lire divers rapports sur la région et les activités de développement qui s’y trouvaient. Ainsi, j’ai lu (plus ou moins en diagonale) le code rural nigérien, le recueil des textes sur la décentralisation qui se met en place sur le pays, des monographies de la zone d’Iférouane, et des états des lieux concernant les impacts de la sécheresse ou les coopératives. Bref, je passais mes journées dans ma chambre-four à faire de la lecture, et le temps me paraissait bien long.

J’attendais toujours avec impatience la soirée, d’une part parce qu’il faisait moins chaud, d’autre part parce que je partais retrouver les forgerons, notamment Mohamed, avec lequel je passais la majeure partie de la soirée à traîner dans les rues sombres d’Iférouane. Et ça commençait pratiquement toujours de la même façon :

« -Anne, qu’est ce que tu veux faire ce soir ?

-Ce que tu veux chef !

-Arrête de m’appeler chef !

-T’avais pas dit qu’il y avait un tendé cette nuit ? »

Et c’est ainsi qu’en cette soirée de fin juillet, je découvris les boris… Il s’agit de rites d’exorcisme permettant de guérir les femmes qui sont possédées par le diable. Ne me demandez pas ce qu’il en est des hommes ensorcelés, j’ai posé la question, et apparemment, c’est un mal typiquement féminin. Mohamed m’expliquait le rituel tandis que nous progressions vers la maison où le bori avait lieu, mais je dois avouer que j’étais plus concentrée sur là où je mettais les pieds. En effet, j’avançais avec peine dans l’obscurité et je fonçais tête baissée dans tous les obstacles qui se présentaient, pour la plus grande joie de mon guide fort peu compatissant à mon malheur.

Beaucoup de monde s’était rassemblé pour assister au bori. Je ne quittais pas Mohamed des yeux, ayant trop peur de le perdre dans la foule et l’obscurité, ou pire, de me mettre à suivre un autre touareg dans une minute d’inattention, et me retrouver une fois de plus bien bête. Nous nous sommes approchés de la périphérie du cercle formé par le public qui entourait les danseuses, et on est venu nous apporter une natte pour que nous puissions nous asseoir. Des écuelles d’eau circulaient dans le public pour que chacun puisse se désaltérer en profitant de la manifestation. Mais pour ma part, j’étais plus préoccupée à comprendre ce qu’il se passait devant moi plutôt que par la soif. Deux femmes étaient assises au centre du cercle. On leur avait placé sur la tête une bandelette de chèche blanc, puis on leur avait bandé les yeux avec un chèche en indigo. Elles portaient les larges chemises touarègues, si bien que dans la pénombre, leur silhouette paraissait informe, comme des fantômes. Elles se balançaient au son du tendé. Dans le public, le choeur des femmes répondaient à l’unisson au chant de la soliste, en battant des mains pour appuyer le rythme. Afin d’encourager les danseuses, des hommes venaient à proximité de leur visage, leurs têtes voilées dans un chèche, et ils soufflaient, émettant ce son rauque si particulier. Il fallait faire le maximum de bruit pour maintenir les danseuses en transe et que le démon n’ait pas de répit. A un moment, la transe devenant plus intense, l’une d’entre elle se leva sur ses genoux, brandissant un sabre au dessus de sa tête. Même si nous étions placé suffisamment loin, j’eus un mouvement de recul lorsqu’elle le sortit de son fourreau, et je me demandais bien comment faisaient les gens du premier rang pour ne pas s’écarter. Mais non, ça ne semblait inquiéter personne qu’une femme ayant perdu le contrôle d’elle-même et étant armée s’agite de la sorte si près du public (car le cercle était tout de même assez resserré). Tout comme l’ensemble de la manifestation paraissait tout ce qu’il y avait de plus banal : dans le public, ça discutait, ça blaguait, et tout était normal… Eh ! Les gens !! Y’a deux femmes qui semblent se sentir mal au milieu, faudrait pas appeler un médecin ??? En plus elles sont armées !!! Bon, d’accord, je ravale mon instinct d’occidentale, je me la ferme, et j’admets. J’admets que de telles pratiques soient pour eux courantes. J’admets, mais je ne comprends pas. Je contemplais la scène l’air perplexe, à chercher désespérément comment ces femmes en étaient arrivées là, et comment cela se pouvait qu’il n’y ait pas une part de simulation. Je me posais des tas de questions sur ces démons qui les tourmentaient, et essayais de trouver des situations similaires en France, ou du moins une explication. Mohamed en rajoutait, m’expliquant que les femmes ne se coupent bizarrement jamais avec le sabre, même si ce dernier est très affûté, et qu’elles ne blessent jamais personne. De plus, il faut noter que ces femmes possèdent par moment une force surnaturelle, si bien qu’il faut les attacher et plusieurs hommes sont nécessaires pour les retenir. Parait même que les jeunes filles sont les pires, et qu’elles se mettent parfois à courir sous l’effet de la danse, étant alors incontrôlable. Le jeune touareg me racontait tout ça et bien plus encore, tandis que je le dévisageais, cherchant à savoir jusqu’où il se foutait de moi. Mais non, ç’avait l’air tout ce qu’il y avait de plus sérieux. D’où perplexité grandissante.

Au bout d’un moment, la foule derrière nous se tassant, nous décidâmes de partir nous poser un peu plus loin de l’agitation, pour continuer à profiter du tendé. A peine partis, une troisième femme tomba en transe, et on s’affairait autour d’elle pour lui masquer le visage afin qu’elle rejoigne les deux autres. L’exorcisme allait durer trois jours, et les femmes danseraient ainsi durant toute la nuit.

Je rentrai tard cette nuit là, pour retrouver mon matelas et ma moustiquaire sous les étoiles. C’était ma première rencontre avec le monde des esprits, mais je préférai garder le souvenir du tendé et des danses, laissant à l’écart le côté mystique. De toutes façons, je ne sais pas si je pourrais un jour comprendre…

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Commentaires
K
Ravi de voir que tout se passe bien pour toi, que tu commences à t'impregner de la culture locale, continue à nous régaler avec tes découvertes et tes histoires de touaregs<br /> Gros bizous<br /> KRAMOU
S
juste pour te dire un petit bonjour de la part de laurie et moi<br /> A ce qu'on voit ca se passe pas trop mal.<br /> plein de gros bisous<br /> seb et laurie
Une française au pays des sables
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